mardi 14 janvier 2014

Le Monde du 8 janvier 2014

La convention avec Sciences Po Paris a aussi bénéficié aux lycées de ZEP

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Exonérer du concours classique des jeunes issus de lycées défavorisés était la seule voie possible d’intégration pour l’ancien directeur de Sciences Po Paris, Richard Descoings (1996-2012).
La convention entre Sciences Po Paris et une centaine de lycées en zone d’éducation prioritaire (ZEP) ne profite pas seulement à la prestigieuse école parisienne. Elle contribue aussi à métamorphoser les lycées.
Dans le quartier très défavorisé du Vernet, à Perpignan, le lycée Aristide-Maillol s’enlisait. « Avant 2005, date de notre entrée dans le dispositif, nous perdions quasiment 15 % de nos élèves d’une année sur l’autreNotre lycée traversait, alors, une crise profonde, avec notamment des violences entre communautés maghrébine et tzigane, et était devenu un véritable repoussoir» se souvient Paul Hernandez, professeur coordonateur des ateliers Sciences Po. La signature de cette convention a modifié notre image, estompé l’effet ghetto et apaisé le climat. Nous conservons notre public de familles modestes mais attirons désormais les enfants de familles plus aisées. Depuis 2005, quarante de nos élèves ont intégré Sciences Po Paris ou l’une de ses antennes décentralisées, et le nombre d’élèves rejoignant des classes prépas est passé de 11 à 37. »
Le principe, mis en place en 2001 par Sciences Po Paris, est simple. L’institution fait confiance aux lycées de ZEP pour prérecruter des jeunes volontaires à fort potentiel et les préparer durant les années des classes de première et terminale. Un jury interne au lycée déclare les lycéens admissibles, soit en général 50 % de ceux qui ont suivi jusqu’au bout les ateliers. Puis la direction, rue Saint-Guillaume, à Paris, admet les candidats après un grand oral, à raison d’un à quatre admis chaque année par lycée.
Le chiffre peut paraître dérisoire mais cache une dynamique vertueuse. « Une vingtaine de lycéens s’inscrivent à l’atelier Sciences Po et, même si les rangs s’éclaircissent au fil des mois, et seuls trois ou quatre iront bien à Sciences Po Paris, leur réussite inspire tous les élèves de terminale, à qui elle ouvre des perspectives, qu’elle rend plus ambitieux », constate Christophe Foubert, proviseur du lycée Eugène Delacroix, à Drancy (Seine-Saint-Denis), « et les équipes d’enseignants, elles, se stabilisent ». Le lycée Delacroix a d’ailleurs noué un autre partenariat, avec l’Ecole des Mines, pour repérer les élèves de bon niveau scientifique.
C’est aussi le cas du lycée Olympe de Gouges, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), qui enrôle des dizaines d’élèves chaque année dans plusieurs autres dispositifs de tutorat avec l’Université Paris Dauphine, Hec, Polytechnique, créant ainsi tout un environnement « et démythifie ces études, à tel point que nous souhaitons commencer dès la seconde la préparation de nos élèves », explique Philippe Le Coz, son proviseur. Olympe de Gouges est redevenu attractif sur son secteur et ne voit plus, comme auparavant, fuir ses élèves dans les nombreux lycées privés alentour, car Sciences Po exige que les lycéens volontaires soient inscrits dans l’établissement qui les présente depuis la Seconde.
Exonérer du concours classique des jeunes issus de lycées défavorisés était la seule voie possible d’intégration pour l’ancien directeur (1996-2012) Richard Descoings, décédé en 2012. Son pari, en 2001, en lançant le dispositif, était qu’en cinq ans, ces jeunes rattraperaient leur retard culturel. Pari gagné puisque, selon l’étude de Vincent Tiberj, chercheur en sciences politiques, la carrière, en termes d’emploi et de salaire, de ces 140 à 160 jeunes qui entrent ainsi chaque année n’a rien à envier à celle des élèves recrutés par la voie classique.
La mesure a diversifié les profils. Ainsi,  14 % des admis ont des parents qui exercent de professions intermédiaires et 44 % sont issus de milieu modeste, ouvriers et employés, mais 21% proviennent des catégories favorisées
OUVERTURE SOCIALE
Les boursiers représentent aujourd’hui 27 % des effectifs de Sciences Po (6 % en 2001). Selon les travaux de M. Tiberj, entre 2006 et 2011, la proportion de fils d’employés a plus que triplé dans l’établissement, passant de 2 % à 7,5 %, et celle des fils d’ouvriers plus que quadruplé, de 1 % à 4,5 %. Une ouverture sociale, même si les catégories favorisées restent surreprésentées avec 50 % d’enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures.
En amont, le dispositif incite à l’excellence, même si tous les progrès ne trouvent pas là leur explication. Au lycée Jean-Vilar, à Meaux (Seine-et-Marne), le taux de réussite au bac a grimpé de 50 % en 2007 à 86 % en 2012. Car suivre les ateliers prépare aussi au bac et renforce l’attractivité du lycée aux yeux des parents de bons élèves. A Meaux, deux élèves ont été admis en 2013 et l’ambition s’est invitée. « Les élèves n’envisagent plus seulement des formations courtes », se félicite Daniel Djimadoum, le proviseur.
Reste la question des déménagements vers Paris  « Nous n’avons, cette année, aucun élève volontaire, déplore Patricia Boudoux, proviseure adjointe du lycée André-Lurçat, à Maubeuge (Nord). Notre seul élève admis en 2013 a abandonné Sciences Po en cours d’année pour rentrer chez lui. Nous constatons de fortes réticences des familles à accepter l’éloignement des enfants, même vers Lille ou Valenciennes. » Preuve qu’il reste encore des barrières à faire tomber.
Isabelle Rey-Lefebvre
Journaliste au Monde

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