Questions d'actualité - 21-12-2017:
- A votre avis, peut-on parler de racisme d'Etat en France aujourd'hui?
- Avez-vous entendu parler des ateliers de réflexion non-mixtes ou "racisés"?
- A propos du lancement de la chaîne Russia Today en France, quelle expression désigne la capacité d'un Etat à influencer culturellement et idéologiquement d'autres acteurs du système international sans utiliser de moyens coercitifs?
- A propos de la réforme fiscale aux Etats-Unis, procédure par laquelle un projet législatif passe d'une assemblée à l'autre, pour des lectures successives, en vue de son adoption en termes identiques par les deux assemblées.
- A propos des événements en Pologne: comment appelle-t-on un système politique dans lequel l'Etat est soumis au respect du droit issu de la constitution, des traités internationaux, de la loi et des règlements?
- A propos des événements en Catalogne: quel processus désigne le transfert de compétences de l'Etat central vers les régions (les communautés autonomes)?
- Quelle est la notion contraire de celle de la question précédente?
- Définissez les notions d'Etat unitaire et d'Etat fédéral. Citez un exemple d'Etat unitaire et un exemple d'Etat fédéral.
- Multiculturalisme et communautarisme sont-ils deux termes synonymes?
- Expression désignant un ensemble de dispositions juridiques visant à favoriser l'intégration de groupes sociaux désavantagés.
Documents d'actualité.
|
Un cadeau de Noël pour les riches. Dessin de Chappatte. Décembre 2017. |
|
Défaite en Alabama. Dessin de Chappatte. Décembre 2017. |
Russia Today: un lancement polémique.
Groupe 1: Les objectifs de la chaîne RT depuis sa création.
Groupe 2: Les adversaires du lancement en RT en France.
Groupe 3: Le point de vue des journalistes et de la rédaction de RT.
Groupe 4: Le point de vue académique (un universitaire spécialiste de la question).
Documents de travail.
Les ateliers non-mixtes ou "racisés".
Pap N'diaye. Il existe un racisme structurel en France. Le Monde. 2017
Peut-on gouverner équitablement le Royaume-Uni après la dévolution ?
Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse du 18 septembre 2014, même s’il s’est conclu par le choix du statu quo,
c’est-à-dire le maintien de l’Écosse dans le Royaume-Uni, a réveillé
des inquiétudes sur les déséquilibres et les tensions dans la
gouvernance des différentes parties du royaume. Le fonctionnement de
l’État britannique est en effet de tradition très centralisatrice, mais
s’est progressivement différencié. D’un côté, l’Angleterre écrase
démographiquement et économiquement les autres nations, tout en étant
polarisée entre un Nord appauvri et parfois marginalisé et un sud
attractif et dynamique. Dépourvue de Parlement propre, elle est
représentée par les députés de Westminster. De l’autre, l’Écosse, le
pays de Galles et l’Irlande du Nord possèdent, depuis les lois de
dévolution de la fin des années 1990, des Assemblées parlementaires aux
pouvoirs inégaux, tout en conservant une représentation à Westminster.
La question de la justice et de l’équité entre ces différents modes de
représentation politique se pose de nouveau avec acuité sur fond de
désenchantement démocratique, de moindre attractivité des partis
traditionnels et d’inquiétude sur la participation électorale aux
élections nationales (le référendum sur l’indépendance de l’Écosse
faisant exception à cet égard, avec un taux de participation plus de
84 %).
La dévolution asymétrique
Jusqu’à
l’introduction de la dévolution en Écosse, au pays de Galles et en
Irlande du Nord (à la suite des accords du Vendredi Saint) en 1999, le
Royaume-Uni a été gouverné de façon très centralisée, surtout depuis les
réformes de Margaret Thatcher dans les années 1980, qui avaient
fortement réduit l’autonomie des collectivités locales. L’Écosse ne
disposait plus de Parlement propre depuis l’Acte d’Union de 1707, même
si elle avait conservé son système juridique et un système scolaire
distinct. L’État central contrôlait en particulier les finances des
autorités locales, limitant en cela leurs marges de manœuvre.
À partir des années 1960, le Parti nationaliste écossais (SNP, Scottish National Party),
favorable à l’indépendance, commença à remporter des succès électoraux
lors des scrutins législatifs nationaux, mettant en péril l’hégémonie
travailliste traditionnelle en Écosse. Confronté à cette pression, le
Parti travailliste promit dès les années 1970 d’instaurer une
décentralisation politique avec la création d’un Parlement régional,
mais ce premier projet échoua lors du référendum organisé en 1979. Il
fallut un nouveau gouvernement travailliste, celui de Tony Blair élu en
1997 après dix-huit années de gouvernements conservateurs
particulièrement impopulaires en Écosse, pour que deux lois instaurent
l’autonomie dans les trois régions en 1998, à la suite de référendums
organisés dans les trois entités. Le Parlement écossais, installé en
1999 et élu au scrutin proportionnel et le gouvernement qui en était
issu, dirigé par un « First Minister », étaient dotés de larges
pouvoirs dans des domaines comme la santé, l’éducation, les transports,
l’agriculture, le tourisme, etc., tandis que les domaines dits
« réservés » à Londres comprenaient la politique macro-économique, la
politique étrangère et la défense ainsi que la Constitution.
En
revanche, au départ du moins, les pouvoirs de l’Assemblée galloise
créée en 1998 à Cardiff étaient beaucoup plus limités, puisqu’ils ne
concernaient que les pouvoirs secondaires d’application de la
législation votée à Westminster. Une seconde loi, votée en 2006, a
élargi ses prérogatives en créant un gouvernement gallois séparé de
l’Assemblée et en prévoyant que le Parlement britannique puisse déléguer
ses pouvoirs à l’Assemblée galloise pour qu’elle puisse voter des
« mesures » (lois). Enfin, en 2011, les électeurs gallois décidaient par
référendum que leur Assemblée aurait des compétences législatives
similaires à celles du Parlement écossais (sauf dans le domaine
judiciaire).
Le cas de l’Irlande du Nord est encore
différent, puisque l’Assemblée élue à Belfast et le gouvernement qui en
est issu ne peuvent fonctionner que par un accord entre les deux
principaux partis issus des communautés protestante et catholique (Democratic Unionist Party et Sinn Fein
à l’heure actuelle, l’un unioniste et l’autre nationaliste) de façon à
maintenir la paix entre les deux communautés de la province.
Ces
modifications constitutionnelles représentaient des réponses à des
situations politiques particulières dans les différentes parties du
royaume, mais elles consacraient aussi des inégalités de traitement qui
ont pu alimenter des mécontentements divers. Ainsi, beaucoup de Gallois,
jusqu’en 2011, trouvaient injuste que leur Assemblée n’ait pas les
mêmes pouvoirs que le Parlement écossais, tandis que la question dite de
« West Lothian » – du nom de la circonscription de Tam Dalyell, le
député qui l’avait le premier soulevée – était restée en suspens : elle
fait référence au fait que les députés écossais qui siègent à
Westminster peuvent voter sur des sujets qui ne concernent que
l’Angleterre (comme la santé ou l’éducation), alors que les députés
anglais ne peuvent pas s’exprimer sur ces mêmes questions pour l’Écosse,
puisqu’elles relèvent du Parlement d’Édimbourg. La réduction à 59 du
nombre d’élus écossais à Westminster après 1998 ne répondait que très
partiellement à cette « anomalie ». Dans le même temps, les
inégalités économiques et sociales entre le nord et le sud de
l’Angleterre ont été renforcées par la récession de 2008-2009 et les
réductions budgétaires imposées par le gouvernement de coalition
conservateur/libéral démocrate depuis 2010. Elles sont exacerbées sur le
plan politique par un mode de scrutin ultra-majoritaire qui fait que
les conservateurs sont quasiment absents dans le Nord et les
travaillistes quasiment absents dans le Sud, à l’exception de Londres.
La question anglaise
L’Angleterre
a pu se considérer comme défavorisée par la configuration mise en place
en 1998-99. En effet, sans Parlement ou Assemblée, elle n’a pas de
représentation propre mais se voit « noyée » au sein de la
représentation britannique dans son ensemble à Westminster. Par
ailleurs, ses députés, on vient de le voir, ont d’une certaine manière
moins de pouvoir que les représentants écossais. Enfin la répartition
budgétaire entre les différentes composantes du pays, selon la « formule
Barnett », la désavantage relativement à l’Écosse et au pays de Galles
(en proportion de sa population). Pendant les premières années suivant
la mise en place de la dévolution, les enquêtes d’opinion ne montrèrent
cependant pas de changement significatif d’attitude des Anglais à
l’égard de celle-ci, qu’ils approuvaient majoritairement. Désormais,
la situation a changé. Ainsi, les sondages réalisé depuis les années
2000 ont révélé une augmentation du nombre d’Anglais favorables à la
mise en place d’un Parlement anglais, de 21 % à 34 % entre 1999 et 2009,
même si 45 % d’entre eux étaient favorables au statu quo (contre 60 % en 1999)(5).
Ces
questions de principe se doublent d’une dimension partisane évidente :
le Parti travailliste étant plus puissant en Écosse qu’en Angleterre,
les conservateurs s’inquiètent qu’un gouvernement travailliste puisse
légiférer pour l’Angleterre grâce uniquement aux voix des députés
écossais. À l’inverse et pour la même raison, les dirigeants
travaillistes ne souhaitent surtout pas réduire le nombre ou le pouvoir
des députés écossais à Westminster, craignant de ne jamais disposer de
majorité sans eux, alors que les conservateurs sont très peu représentés
électoralement en Écosse.
Ces décalages pourraient
encore s’aggraver, si les promesses faites par les dirigeants des trois
principaux partis politiques au moment du référendum écossais se
concrétisent. Dans l’inquiétude d’un possible vote pour l’indépendance,
les formations se sont en effet engagées à accroître les pouvoirs du
Parlement écossais, notamment en matière fiscale et budgétaire. Les
propositions de la commission Smith, nommée immédiatement après le
scrutin du 18 septembre 2014 et qui a rendu son rapport en novembre de
la même année, vont dans le même sens.
Les solutions proposées
Les
arrière-pensées électorales sont évidentes dans les solutions proposées
par les différents partis. Depuis plusieurs années déjà, les
conservateurs proposent qu’à Westminster, seuls les députés anglais
puissent voter les lois qui n’affecteront que l’Angleterre, par exemple
en matière d’éducation et de santé. Une évolution dans ce sens créerait
deux catégories de députés, ceux qui peuvent voter tous les textes (les
Anglais) et ceux qui ne se prononceraient que sur une partie (les
Écossais). En février 2015, William Hague, chargé de la question, en a
fait officiellement la proposition en évoquant la création d’un comité
de la Chambre des Communes constitué exclusivement des députés anglais,
et éventuellement gallois, qui aurait un droit de veto sur les lois les
concernant. Ceci excluerait aussi les votes écossais des questions
fiscales, puisque la fixation de l’impôt sur le revenu serait à l’avenir
dévolue à l’Écosse.
Cette proposition est rejetée par
les travaillistes, qui lui reprochent de créer une division entre
députés et de précipiter l’éclatement du pays. Leur position est au
contraire de réunir une Convention constitutionnelle qui réfléchirait à
la façon d’élargir le processus de décentralisation à la fois en Écosse et
en Angleterre. Ils sont en effet favorables à ce que le Parlement
écossais dispose de davantage de pouvoirs non seulement en matière
fiscale, comme le préconise la commission Smith, mais aussi dans le
domaine sensible, car coûteux, des allocations sociales. Par ailleurs,
ils souhaitent donner davantage de pouvoirs aux grandes villes
anglaises, notamment pour le développement économique, la formation et
les infrastructures de transport, avec l’idée de réduire les
déséquilibres entre le Sud et le Nord, entre la métropole londonienne et
les grandes villes du Nord comme Manchester, Liverpool, Birmingham ou
Newcastle. Pour l’instant, ils n’ont guère détaillé ces projets ni
clairement indiqué de quel budget ces villes pourraient disposer en
provenance du pouvoir central, question cruciale au vu des réductions
budgétaires de ces dernières années.
Par ailleurs,
l’histoire récente n’est guère encourageante : lorsque, sous le
gouvernement Blair en 2004, un référendum a été organisé dans le
nord-est de l’Angleterre pour proposer la création d’une Assemblée
régionale, 78 % des votants ont rejeté cette idée (avec un taux de
participation de 48 % des électeurs inscrits). De même, la possibilité
déjà donnée à des villes d’élire directement un maire (plutôt qu’un
conseil municipal au scrutin uninominal majoritaire, lui-même élisant
ensuite un leader, comme c’est le cas actuellement) n’a eu que des
résultats limités : sur les 51 villes qui ont organisé un référendum
local sur l’élection directe du maire, seuls 16 l’ont adoptée. Il
apparaît donc qu’au-delà d’un malaise diffus sur les inégalités
régionales d’une part, et entre l’Angleterre et l’Écosse d’autre part,
il n’y a pas véritablement de demande de l’opinion publique pour un
renforcement réel des pouvoirs locaux.
Dans ces
conditions, la proposition des libéraux-démocrates d’établir un État
fédéral dans l’ensemble du Royaume-Uni, avec des gouvernements et des
Parlements régionaux séparés, y compris donc en Angleterre qui aurait sa
propre Assemblée distincte du Parlement de Westminster, apparaît peu
susceptible de rencontrer une forte adhésion, même si elle permettrait
de résoudre la question de « West Lothian » et, plus généralement, le
problème de la représentation anglaise. Au manque d’intérêt pour les
réformes constitutionnelles mentionné ci-dessus s’ajoutent en effet des
réticences évidentes outre-Manche vis-à-vis de l’idée même du
fédéralisme, qu’il s’applique au Royaume-Uni ou à l’Union européenne
considéré souvent comme étranger à la tradition constitutionnelle
britannique.
Cependant et de façon paradoxale, les
propositions des libéraux-démocrates ne sont pas très éloignées de celle
des nationalistes anglais en général et de l’UKIP en particulier, qui,
dans la mesure où il y a une politique claire sur ce sujet, s’affiche
comme favorable à la création d’un Parlement anglais qui s’ajouterait
aux Assemblées écossaise et galloise, désormais acceptées par le
parti.
On voit bien que, si tout le monde s’accorde à
dire après le référendum sur l’indépendance de l’Écosse que l’équilibre
actuel des pouvoirs entre régions au Royaume-Uni est à revoir et que le
statu quo est impossible, il est plus difficile de s’entendre
sur les façons de remédier à ces défauts. Les conservateurs et l’UKIP,
théoriquement attachés à l’unité de la nation, sont surtout préoccupés
d’empêcher les députés écossais d’exercer un pouvoir qu’ils jugent
disproportionné à Westminster. De leur côté, les travaillistes prônent
une décentralisation tous azimuts sans en préciser le financement et
s’inquiètent de perdre le soutien des députés écossais qui, jusqu’à
récemment du moins sont très largement acquis à leur parti.
La
question constitutionnelle, comme celle du maintien dans l’Union,
ne sera probablement pas au cœur des débats de la campagne électorale
pour les élections législatives de mai 2015. Comme c’est le plus souvent
le cas, ce débat portera surtout sur les questions économiques et
sociales. Mais cette interrogation sera, à n’en pas douter, un des
sujets importants des prochaines années. L’enjeu en est la capacité du
système politique britannique à s’ajuster à des évolutions
démographiques, économiques et politiques de long terme et à remédier au
« désenchantement démocratique », tel que qualifié par le sociologue
Pierre Rosanvallon, qui pourrait menacer l’unité du pays.
Pauline Schnapper, « Peut-on gouverner équitablement le Royaume-Uni après la dévolution ? », P@ges Europe, 18 mars 2015 - La Documentation française © DILA