jeudi 23 janvier 2014

POUR AVOIR UNE IDEE DE LA NOTION DE "CHECKS AND BALANCES"

Les républicains en pleine crise d’identité ne cherchent pas de compromis sur l'"Obamacare"

LE MONDE | • Mis à jour le | Par
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Rassemblement à l'appel du Tea Party à Washington à l'occasion de la "tax day", le jour de renvoi de la déclaration d'impôts aux Etats-Unis.
Nul besoin d'être grand clerc pour comprendre que le Parti républicain a mal choisi son combat: blocage budgétaire ou pas, Barack Obama ne renoncera pas à sa réforme de la santé. Ses tergiversations sur le dossier syrien l'ont affaibli, nombre de républicains, sentant l'odeur du sang, y ont vu l'occasion de l'achever.
Mais, depuis 2011, le président a été mis en échec par la Chambre sur tous ses grands projets – contrôle des armes, environnement, immigration. L'économie qui repart, la baisse lente mais régulière du chômage… tout cela est bel et bien pour son bilan, mais ne permet pas d'entrer dans l'Histoire. La loi dite "Obamacare", qui donnera accès à des millions d'Américains à une couverture maladie, est la seule grande réforme qu'il peut porter à son crédit en cinq ans de mandat. Si, dans l'actuel duel budgétaire, les républicains peuvent obtenir des concessions sur les dépenses publiques et un relèvement, seulement à court terme, du plafond de la dette, il est peu probable qu'ils obtiennent la mort de l'Obamacare.
D'où cette question : pourquoi le Parti républicain s'obstine-t-il ? Pourquoi le speaker John Boehner, vieux routier de Washington, des "sages" comme John McCain ou Jeb Bush, ne parviennent-ils pas à ramener à la raison les jeunes élus du Tea Party qui rêvent d'insurrection politique ? En réalité, le parti souffre aujourd'hui d'une grave crise d'identité, résultat de la descente aux enfers qu'il a engagée depuis quelques années. Celle-ci a commencé lors de la présidentielle de 2008 lorsque le parti, déboussolé, a mis en selle Sarah Palin ("une terrible erreur", m'a un jour confié Steve Schmidt, patron de la campagne de John McCain). Le coup se voulait habile, le résultat fut calamiteux. Derrière elle, les tea parties se sont engouffrés : un mouvement essentiellement blanc, réactionnaire, rêvant de bouter hors de la Maison Blanche un président noir au nom impossible, et de remonter le temps, vers une Amérique mythique qui aurait été blanche, pieuse, rurale et tournerait le dos au monde et à Washington.
Portés par cette vague, les candidats du Tea Party – jeunes, agressifs, le verbe simplificateur – se sont imposés dans bien des primaires locales en2008 et 2010, chassant les républicains à l'ancienne, pas assez "purs" à leurs yeux. Elus dans des circonscriptions retaillées pour être le plus homogènes possible, ils ont emporté quelques dizaines de sièges à la Chambre (ils ne sont qu'une poignée au Sénat) et, depuis, mènent une vie impossible aux républicains modérés, les entraînant dans une série de fautes politiques graves.
DÉNI DE RÉALITÉ
La première est l'incapacité chronique à accepter une défaite. Ainsi, la réforme de la santé – votée en 2010, confirmée en 2012 par la Cour suprême et par le résultat de la présidentielle, financée – est en application. Peu importe, les ultras la considèrent toujours comme illégitime. Deuxième faute : le rejet systématique du compromis. Si les Pères fondateurs ont conçu un système tel que chacune des trois branches du pouvoir puisse bloquer les deux autres, c'est pour que, du blocage, sortent des solutions négociées et acceptables par tous. Considérer tout compromis comme une trahison, c'est rejeter le sens même de la Constitution et rendre le pays ingouvernable. Cette dérive radicale va bien au-delà du débat budgétaire. Les ultras rejettent la science, le réchauffement du climat et ils mènent des combats d'arrière-garde contre une révolution des mœurs pourtant irréversible… Car les femmes américaines ne renonceront pas à la contraception ni au droit à l'avortement, les couples homosexuels n'abandonneront pas leur quête de l'égalité; aujourd'hui, la majorité des adultes ne sont pas mariés, le groupe "religieux" qui augmente le plus vite est celui des agnostiques. Telle est l'Amérique vraie qu'ils ne veulent voir.
Résultat de ce déni de réalité : le Parti républicain s'enferre dans une conception schizophrénique de la liberté, dont il doit à tout prix sortir pour ne pas échouer aux grandes consultations nationales. D'un côté, il réclame toujours moins d'Etat, moins d'impôt, moins de régulation, et revendique un libéralisme économique à tous crins. De l'autre, il exige que l'Etat intervienne dans la vie privée, impose sa morale religieuse et sexuelle. Ce que les Eglises n'obtiennent pas de leurs paroissiens, l'Etat fédéral (par ailleurs bête noire des ultraconservateurs) devrait l'imposer par la loi! Outre que cette ambition est vouée à l'échec, elle mine la crédibilité du parti. Comment prôner d'un côté la liberté individuelle et chercher à la brider de l'autre ? Les ultras ne vont pas disparaître, ils sont bien financés, et représentent un courant d'opinion réel. Mais ont-ils encore leur place dans le parti ? En ces temps de déficits budgétaires vertigineux, il y aurait pourtant une opportunité pour un parti rénové, certes libéral (au sens français), mais ancré dans le monde moderne. Rappelons ce constat historique: aux Etats-Unis, la liberté (et non l'égalité) est la valeur première. Celui qui réussit à adapter le sens du mot "liberté" à son époque domine le débat: il y eut la liberté d'entreprendre, le monde libre, les droits civiques…
Le Parti républicain n'a désormais qu'un choix pour éviter de se disloquer: refonder son idée de la liberté individuelle, accepter la réalité de l'Amérique, mettre au pas les réactionnaires. Car sinon, l'Histoire nous l'a appris, les partis meurent aussi.
Nicole Bacharan (Historienne, politologue, chercheuse associée à la Hoover Institution, à l'université de Stanford (Californie))

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