« Quand j’ai parlé de Sciences Po à mes parents, ils ont paniqué »
Issue
du programme de convention prioritaire de Sciences Po, une ancienne
élève raconte les difficultés rencontrées au sein de sa famille pour
accéder à cette école.
LE MONDE ECONOMIE
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Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff
Lancées il y a quinze ans, les conventions éducation prioritaire de Sciences Po concernaient alors une majorité de lycées de banlieue, mais aussi quelques établissements en région, notamment dans l’académie de Nancy. Aujourd’hui directrice du Labo des histoires Ile-de-France Ouest, Amélie Edoin, 24 ans, en a bénéficié. Au prix de rugueuses tensions familiales puis sociales.
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Quand entendez-vous parler de Sciences Po pour la première fois ?
En classe de 2de, par des professeurs, exceptionnels, qui vont me marteler : « Tu peux le faire. »
Car au début, je suis réfractaire à l’idée. Je leur réponds que j’irai à
la fac, comme tout le monde. Ma famille a mis encore plus longtemps que
moi à accepter l’idée que je suive de telles études. Mes parents ne
connaissaient pas Sciences Po et lorsque je leur en ai parlé pour la
première fois, ils ont paniqué. Et cela n’a fait qu’empirer au fil des
réunions d’information. Ils craignaient que je sois complètement
démoralisée en cas d’échec. De plus, Paris leur faisait peur. Ils me
disaient que je n’étais jamais « montée à la capitale », qu’une école où
la majorité des élèves sont issus d’un milieu bourgeois n’était pas
« ma place », que je ferais mieux d’aller à l’université avec des gens
« comme moi ». Ma sœur a également mal réagi, comme si je la rejetais.
Cela a créé un fossé entre nous. Finalement, au début, le principal
soutien affectif a été celui de ma meilleure amie, qui a suivi le même
cursus que moi. Nous nous sommes battues ensemble, contre vents et
marées, avec le soutien de quelques amis qui croyaient en nous.
Comment fait-on face, adolescente, à une telle pression familiale et sociale ?
J’avais envie de réussir, de m’élever, de prouver à tous que je
pouvais le faire – dans ma famille, seul mon parrain avait fait des
études.
Finalement vous entrez à Sciences Po, mais sur le campus de Nancy…
Parce qu’il y a une spécialité en allemand et que c’est une langue
que je parle depuis que je suis petite, et parce que Nancy est certes
une grande ville, mais une grande ville qui est située à côté de chez
moi. Je me dis que ce sera plus facile qu’à Paris. Mais je me trompe.
Dès le premier jour, une jeune femme vient me voir et m’interroge : « C’est toi, la convention éducation prioritaire », me demande-t-elle ? J’acquiesce. Elle me sourit mais pour me dire : « Je suis ravie de rencontrer des gens comme toi ; je n’en avais jamais vu. »
Puis je m’aperçois au fil de l’échange que la seule chose qu’elle
cherche à connaître, ce sont mes notes au bac, pour évaluer si les
élèves de zone d’éducation prioritaire méritent vraiment d’entrer à
Sciences Po.
Et quand vous les lui donnez ?
Elle me dit que ce n’est plutôt pas mal… pour des gens comme moi.
Mais finalement, tout cela m’a aussi donné de la force, celle de clouer
le bec à toutes les personnes qui pensent de la sorte, en obtenant de
bons résultats.
A la sortie de Sciences Po, vous vous engagez dans
l’entrepreneuriat social, au Labo des histoires, qui organise des
ateliers d’écriture notamment pour des enfants issus de ZEP…
C’est la continuité de mon histoire. A mon tour de transmettre, de
donner envie à des jeunes de se dépasser. Je crois profondément à
l’insertion par l’éducation et la culture.
Lire aussi :
Intégrer Sciences Po, mode d’emploi
Amélie Edoin fait partie des 35 acteurs et experts du monde de
demain dont les témoignages sont diffusés en vidéo lors des événements
O21/S’orienter au XXIe siècle que Le Monde organise
de janvier à mars 2017. Prochaines éditions : Bordeaux (Cenon) les 10 et
11 février, Villeurbanne les 15 et 16 février et Paris les 4 et 5 mars.
Gratuit sur inscription. Lemonde.fr/O21.-
Emmanuel Davidenkoff
Journaliste au Monde
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