Quelques documents pour poursuivre la réflexion :
- France culture, émission "Les Nouveaux chemins de la connaissance", Raphaël Enthoven, 07/10/2008 : http://blog.franceculture.fr/raphael-enthoven/le-principe-responsabilite-de-hans-jonas-2/
- Sur l'anthropocène, interview de l'historien Christophe Bonneuil dans Libération (25/10/2013) : http://www.liberation.fr/terre/2013/10/25/l-anthropocene-une-revolution-geologique-d-origine-humaine_942427
- Jean-Pierre Dupuy, "Une catastrophe monstre", Le Monde, 19/03/2011 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/19/une-catastrophe-monstre_1495592_3232.html
- Voir à l'occasion, pour prolonger la réflexion sur l'agriculture durable, le documentaire Cowspiracy, Kep Andersen, 2014 : https://reporterre.net/Un-film-contre-les-ravages-de-l
Textes distribués en classe :
Document n°1 : Une approche philosophique : Hans Jonas, Le principe responsabilité (1979)
Compte tenu de la puissance colossale
de notre technique […] il devient d’une aveuglante clarté que la prévention est
la principale mission de la responsabilité. Mais ce n’est pas le
seul domaine. Notre technique pacifique [=qui
n’inspire pas la crainte] elle-même, dont bénéficie quotidiennement
l’humanité sur la planète, recèle en elle un potentiel de malheur — qui, pour
n’être ni intentionnel ni soudain, n’en est pas moins sournois. Il accompagne
en conséquence comme une ombre grandissante, les œuvres que cette technique a
voulues, et dont elle a eu si souvent besoin.
Le choix plus simple qui consisterait à
suspendre toute action nous est ici refusé, car nous devons poursuivre
l’exploitation technique de la nature. Comment et dans quelles proportions,
telles sont les deux seules questions qui subsistent ; de même, celle de savoir
si nous sommes maîtres de la nature ou si nous pouvons le devenir est-elle
l’une des questions les plus graves en ce qui concerne la liberté humaine. […] Le
danger qui nous menace actuellement vient-il encore du dehors ? Provient-il de
l’élément sauvage que nous devons maîtriser grâce aux formations artificielles
de la culture ? C’est encore parfois le cas, mais un flot nouveau et plus
dangereux se déchaîne maintenant de l’intérieur même et se précipite,
détruisant tout sur son passage, y compris la force débordante de nos actions
qui relèvent de la culture. C’est désormais à partir de nous que s’ouvrent les
trouées et les brèches à travers lesquelles notre poison se répand sur le globe
terrestre, transformant la nature tout entière en un cloaque pour l’homme.
Ainsi les fronts se sont-ils inversés. Nous devons davantage protéger l’océan
contre nos actions que nous protéger de l’océan. Nous sommes devenus un plus
grand danger pour la nature que celle-ci ne l’était autrefois pour nous.
Nous sommes devenus extrêmement dangereux pour nous-mêmes et ce, grâce aux
réalisations les plus dignes d’admiration que nous avons accomplies pour
assurer la domination de l’homme sur les choses. C’est nous qui constituons le
danger dont nous sommes actuellement cernés et contre lequel nous devons
désormais lutter.
Document n°2 : Deux mesures d’écologie politique (1982-2005)
1/Selon la Charte mondiale de la nature (conférence de Stockholm, ONU, 1982) :
« Tous les gouvernements et tous les peuples du monde doivent s’acquitter collectivement
et individuellement de leur responsabilité historique, afin que notre petite
planète soit léguée aux générations futures dans un état qui garantisse à
chacun une existence respectueuse de la dignité humaine »
2/La révision constitutionnelle entrée
en vigueur le 1er mars 2005 a introduit dans la Constitution
française la Charte de l’environnement
dont l’article 5 définit les modalités d’usage du principe de précaution : mise en place de procédures
d’évaluation des risques et de mesures de protection provisoires et
proportionnées pour parer à d’éventuels « dommages graves et irréversibles
à l’environnement », lorsque les connaissances scientifiques ne permettent
pas d’en écarter le risque. Les rapporteurs constatent une tendance à élargir
l’usage du principe, notamment en l’appliquant pour l’ensemble des procédés
technologiques, même lorsqu’ils sont déjà massivement utilisés (nanomatériaux,
téléphonie mobile, biotechnologies, etc.), y compris dans le domaine sanitaire
où sa mise en œuvre n’était pas initialement prévue.
Document n°3 : Extrait du projet de Benoît Hamon (PS), campagne
de 2017 (Source :
https://www.benoithamon2017.fr )
Document n°4 : Voltaire, "Poème sur le désastre de Lisbonne", 1756 : https://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8me_sur_le_d%C3%A9sastre_de_Lisbonne
Document n°5 : Jean-Pierre Dupuy, "Une catastrophe monstre", Le Monde, en ligne, 19/03/2011
Professeur à l'université Stanford,
Jean-Pierre Dupuy est également président du comité d'éthique et de déontologie
de la Haute Autorité de sûreté nucléaire.
En 1958, le philosophe allemand Günther
Anders (1902-1992) se rendit à Hiroshima et à Nagasaki pour participer au 4e
congrès international contre les bombes atomiques et les bombes à hydrogène. Il
tint pendant tout ce temps un journal. Après de nombreux échanges avec les
survivants de la catastrophe, il note ceci : « La constance qu'ils mettent
à ne pas parler des coupables, à taire que l'événement a été causé par des
hommes ; à ne pas nourrir le moindre ressentiment, bien qu'ils aient été les
victimes du plus grand des crimes - c'en est trop pour moi, cela passe
l'entendement. » Et il ajoute : « De la catastrophe, ils parlent
constamment comme d'un tremblement de terre, comme d'un astéroïde ou d'un
tsunami. » […]
Le fait que les juifs d'Europe aient
substitué au mot « holocauste » celui de Shoah, qui signifie
catastrophe naturelle et, singulièrement, raz de marée, tsunami, atteste cette tentation
de naturaliser le mal lorsque les hommes deviennent incapables de penser cela
même dont ils sont victimes. Voici que la tragédie qui frappe le Japon
semble inverser les termes de cette analyse et qu'un véritable tsunami, une
onde on ne peut plus matérielle, vient réveiller le tigre nucléaire. Certes, il
s'agit d'un tigre en cage : un réacteur électronucléaire n'est pas une bombe
atomique. Il en est en un sens la négation puisqu'il consiste à brider une
réaction en chaîne qu'il a lui même provoquée. Cependant, dans l'imaginaire, la
dénégation affirme cela même qu'elle nie. Dans la réalité, et nous y sommes, il
arrive que le tigre s'échappe de sa cage.
[…] C'est comme si la Nature se dressait face à
l'Homme et lui disait, du haut de ses rouleaux déferlants de vingt mètres :
« Tu as voulu dissimuler le mal qui t'habite en l'assimilant à ma
violence. Mais ma violence est pure, en deçà de tes catégories de bien et de
mal. Je te punis en prenant au mot l'assimilation que tu as faite entre tes
instruments de mort et ma force immaculée. Péris donc par le tsunami ! »
[…] Que Rousseau ait gagné est évident dans la manière dont le monde a réagi à
deux des plus grandes catastrophes naturelles de ces dernières années : le
cyclone Katrina et le tsunami asiatique de Noël 2004. C'est leur statut de
catastrophe naturelle qui a été mis en doute. « A man-made disaster » (une catastrophe due à l'homme) titrait
le New York Times à propos du premier ; la même chose avait été dite à propos
du second avec de bonnes raisons. Si les récifs de corail et les mangroves
côtières de Thaïlande n'avaient pas été impitoyablement détruits par l'urbanisation,
le tourisme, l'aquaculture et le réchauffement climatique, ils auraient pu
freiner l'avancée de la vague meurtrière et réduire significativement l'ampleur
du désastre. […] Bref, c'est l'homme, seulement l'homme, qui est responsable,
sinon coupable, des malheurs qui l'accablent.
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